top of page
  • voiliershazzan

Questions pour un Shazzan

Dernière mise à jour : 28 déc. 2021

Le 3 Décembre 2021, moi, Shazzan, j’ai donc quitté la Gomera sous l’œil de la caméra de la TV canarienne et mis le cap sur la Gambie ! Enfin j’allais découvrir un nouveau continent après 20 ans d’Europe.

J’ai embarqué 5 équipiers, mes capitaines Christine et Dominique, Antoine et Stéphanie, le président et la secrétaire de Nav’Solidaire qui m’avaient confié le transport de 100 prothèses de jambe pour l’hôpital de Banjul et Boris , aussi membre de Nav’Solidaire qui nous a rejoint à La Gomera.

J’ai emmené tout ce petit monde au large des côtes africaines et le 12 décembre, je me balançais, tranquille à l’ancre, dans la baie moitié mer, moitié fleuve de Banjul... Une traversée de 9 jours où j’ai dû encaisser des vents forts et de sacrées vagues mais je dois le dire avec une belle complicité de mon équipage !


« Dis, Shazzan, c’est quoi pour toi des vents forts ? Et puis dis-nous, comment se passe la vie à ton bord en traversée ? »


Question n° 1 : « C’est quoi du vent fort pour toi Shazzan ?

Et bien, ça dépend, non pas de l’âge de mes capitaines (quoique !), mais de l’équipage et de qui je suis, moi le bateau !


Ça dépend... et pas seulement du vent

Si vous faites monter à mon bord votre grand-mère de 125 ans, une princesse qui prend deux douches par jour ou un jeune premier qui pousse des cris d’orfraies à la moindre petite gite, prévoyez une navigation à la journée sur mer plate avec 10 à 15 nœuds, car pour eux, au-delà ce sera la tempête et l’apocalypse !


Le deuxième point, que je prends en compte, c’est l’orientation du vent par rapport à l’endroit où mes capitaines veulent aller : quand je prends le vent plutôt dans la.... pointe avant de mon étrave, je suis obligé de me pencher sur le côté pour avancer et je tape un peu dans les vagues. Non, l’allure où je peux encaisser un max, c’est quand le vent vient de trois quart arrière, le grand largue, là je peux aller vite en restant confortable car j’avance plutôt à plat ce qui me permet de surfer sur la crête des vagues !


Bien sûr, si je me compare à d’autres, je suis plutôt ventru et trapu, je ne suis pas une bête de régate, mais dans le coup de vent, là où d’autres bateaux plus « affutés » partiraient au tas, se coucheraient, moi je dis « Même pas peur ! ». En plus, je mesure plus de 13 mètres, ce qui me permet d’encaisser de belles vagues.


Un coup de vent non prévu !

L'échelle de Beaufort

Mais peut-être ne savez-vous pas ce qu’est un coup de vent ? Un coup de vent, c’est un peu moins que ce que nous avons essuyé peu après notre départ de la Gomera ! En effet un coup de vent correspond à des vents établis de 34 à 40 nœuds (62 à 74 kms/heure) et nous avons eu jusqu’à 43 nœuds établis avec des rafales à plus de 50 nœuds.


Ça commence à compter surtout quand on sait que les rafales peuvent être 30% à 50% plus fortes et que la hauteur des vagues est en relation directe avec la force des vents, soit plus de 5 mètres.



Je vous entends déjà « Mais pourquoi mes capitaines sont-ils partis ce jour-là alors ? » La réponse n’est pas à chercher dans une forme d’inconscience de leur part mais bien parce que personne, ni les fichiers météo ni le routeur n’avaient prévus cet épisode, l’un comme les autres annonçant des vents à 20 nœuds avec rafales à 29 nœuds max.


Mais quand on est dedans... on fait avec

J’ai quitté le ponton gasoil à 12h40 et en quelques heures, les vents sont montés à plus de 30 nœuds établis avec de belles rafales... qu’à cela ne tienne, j’ai pensé que c’était sûrement dû à l’effet Venturi : les vents s’engouffrent dans une sorte de couloir entre les îles, ce qui a pour effet de les accélérer. Pendant toute la soirée, le vent a continué à forcir et on a réduit ma voilure en prenant des ris. A 23h, pour soulager mon gréement et épargner mes voiles, mes capitaines ont décidé de mettre à la cape, je sais que j’aurais encore pu supporter des vents plus forts mais mieux vaut jouer la sécurité et éviter la casse... et puis je pense aussi à mon équipage, malgré tous mes efforts, je sais bien que pour eux cela devenait inconfortable, surtout pour Antoine et Stéphanie qui essayaient de trouver le sommeil dans ma cabine avant.



La cape est une allure de sauvegarde et les bruits de ponton m’ont rapporté que Bernard Moitessier l’utilisait pour son Joshua quand la tempête se levait en mer...


Joshua et Moitessier, un sacré binôme qui fait encore rêver les navigateurs au long cours !



J’ai donc en quelque sorte « dérivé » pendant plus de 48h (heureusement dans la bonne direction et loin de toutes côtes) et dans la nuit du 4 au 5 décembre, le sifflement du vent dans ma mature et les vagues qui balayaient mon cockpit m’ont laissé comprendre que nous entrions dans le fort coup de vent selon l’échelle de Beaufort ! Je devais être rassurant car mon équipage a pu continuer à manger, boire, dormir, aller aux toilettes... et même un peu vomir parfois ! Comme quoi, j’ai la faculté de ramener les humains à l’essentiel, la capacité à satisfaire leurs besoins primaires.


Un retour au calme relatif

Neptune et Eole étaient peut-être fatigués de ce tohubohu car le vent a un peu faibli en début d’après-midi le 5 décembre.... Vers 15 heure, c’est avec un grand bonheur que j’ai pu reprendre ma route même si c’était avec une voilure réduite au maximum (Trinquette 3 ris et Grand-Voile 3 ris).


Sur la ligne du livre de bord remplie à 20h, j’ai lu pour la colonne Vent « 32 nœuds » et pour la partie Observation « Que ce calme fait du bien », ce qui semble bien étrange car généralement les équipages ne trouvent pas que ce soit si calme que ça à 32 nœuds ».


Une expérience utile

Finalement, c’est bien que nous ayons vécu ça avec Christine et Dominique, car nous pouvons maintenant avoir confiance en nous trois, nous savons que nous pouvons affronter ce type de situation avec sérénité en assurant la sécurité de l’équipage et la mienne ... Je ne suis pas peu fier car j’ai entendu mes capitaines dire à plusieurs reprises « Shazzan est vraiment un bateau exceptionnel taillé pour le large et le voyage ! » Alors à nous la planète !


Question n°2 : Qu’est-ce qu’on mange à bord ?

Le pain de Dominique

Et bien déjà, je me délecte de l’odeur de pain chaud qui embaume régulièrement mon carré. Dominique est devenu un boulanger émérite qui pétrit et cuit dans une cocotte au four des pains qui semblent délicieux vu le plaisir que l’équipage prend à les déguster ; moi je peux juste vous parler de ce que je vois : une croute dorée à souhait et une mie avec de belles alvéoles !


Heureusement que j’ai de grands coffres de rangement, car il en faut du gaz et de la farine pour assurer le pain frais d’une traversée !


En général, l’avitaillement est prévu en fonction des goûts de chacun mais aussi des possibilités d’achat dans le pays où l’on est et de la durée de conservation des aliments : des fruits et légumes frais avec une préférence pour ceux qui se conservent facilement comme les choux, les carottes, les oranges... Du chocolat et des bonbons pour les petites douceurs des longs quarts de veille nocturne, mais aussi du fromage, du beurre et de la chiffonnade de jambon, des knackies qui viennent prendre le frais dans mon frigo. Bien sûr, on embarque aussi de nombreuses céréales (pâtes, riz, boulgour...) et légumineuses (lentilles, pois chiches, mogettes...) ainsi que du lait, des conserves de légumes, de poissons, de pâtés... Christine, prévoyante, stocke aussi quelques nourritures faciles à préparer comme des boites de conserve type « plats complets », des soupes et de la purée déshydratées...



Bon on pourrait bien manger du poisson mais mon équipage n’est pas encore vraiment au top malgré les cours dispensés à Marseille par Laurie et son papa...


Antoine et Boris ont quand même réussi à attraper une bonite (il m’a semblé que l’équipage appréciait ce poisson en ceviche !) mais je vous le dis en catimini, c’est surtout les poissons qui ont pêché les rapalas (leurres) !




Je peux aussi vous assurer, qu’une fois les estomacs amarinés, ma gazinière se prend pour

un fourneau de chez Bocuse... Pendant la traversée de La Goméra à Banjul, j’ai vu passer dans mon coin cuisine le gratin de courges de Boris, la piémontaise avec mayonnaise maison de Stéphanie, la salade de lentilles béluga de Christine ou les gâteaux au chocolat d’Antoine. On va éviter de parler des compétences culinaires de Dominique, mieux vaut rester concentrer sur ses talents de boulanger !


Question n°3 : Et pour l’eau douce, tu as prévu quoi ?

Je stocke et je distribue

Je peux embarquer 1 000 litres d’eau douce dans mes 3 cuves en aluminium et mes 2 cuves en plastique souple, ce qui est assez exceptionnel, car généralement les bateaux de voyage embarquent 400 à 500 litres.


J’ai, bien entendu, une pompe à eau de mer à l’évier de mon carré qui permet d’économiser l’eau douce : l’eau de mer sert au lavage de la vaisselle (qui sera toutefois rincée à l’eau douce) mais aussi pour saler l’eau des pâtes ou du riz (mais attention, il faut limiter la proportion d’eau de mer au tiers sinon c’est immangeable).


Sur la plupart des bateaux, l’eau douce est utilisée uniquement pour la vaisselle, la toilette et la cuisson où l’eau boue assez longtemps pour éliminer d’éventuels germes et on prend des bouteilles d’eau minérale pour la boisson. Mais ma première propriétaire était une américaine et elle a fait installer un filtre spécial, conçu à l’origine pour l’armée US, un dispositif qui filtre l’eau douce des cuves pour la rendre potable et buvable en l’état.... Cela m’évite de devoir stocker une multitude packs d’eau (pleins et vides) et à mes équipiers de se coltiner leur transbordement !


Ils économisent...

En traversée, je vois bien que tout le monde s’efforce d’économiser l’eau... filet d’eau pour le rinçage de la vaisselle, cuisson vapeur et toilette de chat au gant (et encore pas tous les jours, oups, j’aurais peut-être mieux fait de me taire, j’espère que Christine et Dominique ne m’en voudront pas et puis c’est vrai qu’on se salit peu en mer !)


Eau de boisson incluse, on peut vraiment réduire la consommation par personne à quelques litres par jour, je vous le redis, je ramène les humains à l’essentiel ! Espérons que tout le monde fera comme Machin Truc (un drôle de nom vous en conviendrez !) qui a réduit drastiquement sa facture d’eau après un séjour sur un de mes petits frères Tamara avec Christine et Dominique. Je souhaite vraiment que cette sobriété apprise à bord continue à terre chez tous les équipiers embarqués !


Question n°4 : Shazzan tu as des coins et recoins pour le rangement, mais as-tu un petit coin ?

La réponse est oui, même 2 ! Mais les petits coins bateau sont quand même un peu différents des petits coins maison et les équipiers doivent se conformer à quelques règles.

Règle n°1 : sur le wawa, toujours tu t’assiéras !

D’abord, on s’assoie TOUJOURS, même les garçons, car malgré ma grande stabilité en navigation, va viser quand le bateau gite, ce n’est pas évident quand on doit simultanément tenir l’engin et ne pas de casser la figure à la première vague ! Alors, on s’assoie pour éviter d’en mettre partout !


Règle n°2 : Réveille le shadock qui sommeille en toi !

La chasse d’eau se fait à l’eau de mer... eau de mer qu’il faut pomper évacuer, pomper évacuer, pomper évacuer... jusqu’à ce que la-dite eau soit limpide !


Alors comme le shadock en son temps, le marin ou la marinette compense le repos acquis lors de la phase assise par une bonne séance de musculation !


Au fur et à mesure des jours (le nombre de jours variant selon le taux d’utilisation), la pompe devient de plus en dure à actionner... il est temps de verser une ou deux cuillères à soupe d’huile de table végétale... ça graisse les joints de la pompe et facilite la tâche !


Règle n°3 : Celui qui bouche, débouche !

C’est ma phrase clé pour inciter les utilisateurs à ne mettre que ce que produit leur petit corps dans les toilettes ! Tout le reste, papier toilette y compris ira dans une poubelle prévue à cet effet !


Règle n°4 : Cuve au mouillage, du producteur au consommateur au large

Quand nous naviguons au large, le contenu des productions personnelles de l’équipage part à la mer nourrir les poissons (beh quoi, c’est naturel !) par contre dès que je suis à l’ancre ou au port, j’ai prévu une cuve à eaux noires qui permet de les stocker. Peu de ports sont équipés pour vider ces cuves à eaux noires et la loi autorise à les vider au large (plus de 3 milles des côtes) alors c’est souvent ce que font Christine et Dominique.


Question n°4 : Dans la série glamour.... les poubelles ?

Tout commence, lors du rangement de l’avitaillement ; une bonne partie des emballages est retiré, cela présentant le double avantage de limiter les déchets à stocker en cours de traversée et aussi évite d’embarquer des indésirables comme les œufs de cafard qui dans les pays chauds aiment bien se prélasser dans les cartons ou les boites à œufs !


Christine et Dominique trient les déchets (même si sans vouloir les vexer, je pense qu’ils pourraient faire mieux !)

  • Tous les déchets alimentaires sont mis à la mer en traversée, les poissons et autres habitants des océans se chargeant du recyclage !

  • Les verres et les cannettes vides, sont quant à eux stockés sous le plancher du cabinet de toilette arrière en attendant le prochain port.

  • Les emballages comme les pots de yaourts, les boites de conserve sont rincés à l’eau de mer avant d’être compactés au maximum pour rejoindre la poubelle du bord...

Tous les déchets hors alimentaires restent donc à mon bord, mais comme ils ne contiennent aucune matière organique (sauf la poubelle mentionnée à la question 4 !!!), les odeurs et liquides liés à la décomposition sont limités... ce qui n’est pas pour me déplaire !




Toutefois, par mesure d’hygiène, mes capitaines stockent les sacs loin de l’espace de vie, à l’avant du bateau dans ma baille à mouillage (le coffre où sont rangées mon ancre et ma chaine). On m’en déleste dans les ports où nous accostons.



Question n°5 : C’est quoi le passage de la ligne ?

Pas d'inquiétude

Non, non rassurez-vous, je ne me suis pas transformé en locomotive, je n’ai pas non plus installé de fil électrique haute tension ni même sniffé quoique ce soit à part le vent et les embruns ! La ligne ou plutôt les lignes que l’on passe en bateau sont toutes virtuelles, puisqu’il s’agit de l’équateur et des tropiques. Et ces passages de lignes pour la première fois font l’objet d’une « cérémonie » avec offrande à Neptune, Eole et même parfois Saint Christophe, le dieu des voyageurs. Bien sûr, je suis toujours remercié d’avoir amené l’équipage jusque-là et cela me fait toujours plaisir !


Ils m'ont bien fait rigoler avec leur cérémonie !

Et j’ai bel et bien franchi une ligne entre les Canaries et Banjul (heureusement après le coup de vent), la ligne du Tropique du Cancer... Stéphanie et Dominique (encore eux, comme pour les mille milles) ont eu le droit à leur cérémonie. Les dieux des mers, du vent et des voyageurs sont apparus barbus (mousse à raser) drapés de toges en filets (les tulles des moustiquaires). Après avoir été adoubés par le sceptre de Eole (la gaffe), félicités par Saint Christophe, ils ont été copieusement baptisés à l’eau de mer par Neptune... bien sûr tout l’équipage a été dans l’obligation de tester le rhum avant de le verser à titre d’offrande dans la mer ! J’ai même eu droit à une rasade supplémentaire pour avoir assuré dans le coup de vent ! Les jeunes ont même immortalisé ce moment festif sur un film... mais depuis la carte où il était a disparue, perdue ou volée on ne sait pas ! Quel dommage !


Si vous avez d'autres questions

Si vous avez d’autres questions n’hésitez pas, car c’est toujours un plaisir de vous répondre et puis elle n’est pas belle ma vie de Shazzan ? Et je ne vous ai pas encore raconté ma découverte de l’Afrique... Patience les amis, je prends quand même le temps de profiter !

Posts récents

Voir tout
bottom of page