Mariana est une slameuse, une actrice et surtout une activiste qui met ses talents au service de la population d'Itzapalapa, une banlieue populaire de 2 millions d'habitants relativement dangereuse (même si la situation semble plutôt à l'amélioration). Elle organise dans son quartier des ateliers de poésie, des cours de théâtres, des festivals qui mettent à l'honneur les habitants, les font se rencontrer, s'exprimer. Son crédo : les mots sont une arme pacifique alors prenez la parole pour changer le monde. Nous avons tout de suite sympathisé et elle nous a invité à un atelier d'écriture dans son quartier et plus précisément à proximité du Tianguis del Salado, un marché aux puces où l'on trouve de tout, vraiment de tout, légal ou non...
On y va ensemble ?
Une proposition de participer à un atelier d'écriture
Vous vous souvenez Mariana ! Mais si, Mariana Flores que vous avez rencontrée lors de la scène slam de Mexico ! Une sacrée petite bonne femme qui nous a embarqué avec son slam sur le pouvoir de la parole. Une énergie débordante, un charisme fou et une belle rencontre malgré nos différences d'âge, de langue, de mode de vie... différences de tout quoi, sauf finalement de l'essentiel car nous étions sur la même longueur d'ondes. Vous savez parfois vous rencontrez une personne et un fil invisible se tisse instantanément sans qu'il n'y ait rien à expliquer : juste vous vous reconnaissez. Et bien, c'est ce qui nous est arrivé avec Mariana.
Alors après la scène slam, nous avons échangé quelques mots, nos coordonnées et un énorme câlin. Nous avons ensuite papoté sur les réseaux de ceci de cela et finalement nous nous sommes dit que nous devions nous revoir avant notre départ !
- Et si tu venais Christine à mon atelier d'écriture ?
- Allez ça marche Mariana, envoie moi l'adresse !
- Le plus simple c'est que tu viennes au métro Acatitla et je viendrai te cherchez !
- Génial, à mercredi Mariana !
Nous retardons notre départ de Mexico de quelques jours sans vraiment nous poser de questions ni sur le quartier ni en fait sur rien...
On roule, on roule et on s’interroge
Le jour J, nous prévoyons de nous rendre à Acatitla en VTC mais comme d'habitude, il y a une manifestation en centre-ville et le chauffeur ne peut pas venir nous prendre. Nous décidons alors de prendre le bus puis le métro pour nous rendre au point de rendez-vous.
Nous voilà confortablement installé dans le bus.... On roule, on s'arrête, des passagers montent et descendent, on roule, on s'arrête, on roule, on s'arrête, on roule... on roule.... on roule et nous constatons que les quartiers que nous traversons changent de physionomie... Après une quinzaine de minutes sans arrêt, je demande aux voyageuses assises face à moi, si c'est le bien le bon bus pour aller à Acatitla...
- Non, vous êtes certains que c'est à Acatitla que vous allez ? Non non, c'est dangereux... surtout pour des blancs ! Vous risquez d'être assommés et dépouillés, voir bien pire !
- Si, si, nous allons bien à Acatitla mais nous avons rendez-vous avec une personne qui habite la-bas.
- (Réponse un peu inquiétante) J'espère pour vous que c'est une personne de confiance"
Nous discutons ensemble avec Dominique : que faisons-nous ? De toute façon, le prochain arrêt du bus est à la station de métro où passe la ligne qui conduit à Acatitla, donc nous décidons que nous réévaluerons la situation à l'arrivée du bus à la station de métro.
Une fois descendu du bus, nous nous retrouvons dans un immense pôle d'échange métro/bus. Nous regardons autour de nous et nous ne ressentons pas d'hostilité ni de la part des voyageurs ni des policiers qui surveillent le lieu. Nous lisons plutôt de l'étonnement dans les yeux des personnes du style "Mais qu'est ce qu'ils font là ces deux vieux blancs ?"
Nous nous rendons à la station de métro et je peux vous assurer que les couloirs de Chatelet-Les-Halles sont "ridicules" par rapport à ceux de la station de Agricola Pantitlan... mais ce jour là, on pouvait distinguer deux taches blanches dans la marée humaine !
Nous montons dans le métro et là de jeunes gens nous proposent leur place assise... Cela nous arrive finalement assez souvent dans les transports : est-ce lié à notre âge et nos cheveux blancs ? Au fait qu'ils me voient boiter ? Au fait que nous soyons étrangers ? Un grand merci et nous voilà tranquillement installés dans la rame de métro sans, à aucun moment, nous sentir en insécurité.
Nous retrouvons Mariana et son amie Lina au métro
Nous voilà arrivés à Acatitla. Nous descendons du métro et suivons le flot de voyageurs jusqu'à une plateforme (elle aussi surveillée par des policiers) qui, ma foi, semble très tranquille. Je contacte Mariana par téléphone pour la prévenir de notre arrivée. Dès qu'elle nous rejoint avec son amie Lina, je lui rapporte les propos des passagères du bus comme quoi cet endroit est dangereux !
Elle éclate d'un beau rire franc en nous disant "Oui, oui Christine ici c'est dangereux, mais j'habite dans cette partie d'Itzapalapa, je connais tout le monde et avec moi, vous ne risquez rien !" Devant son air tranquille, nous nous regardons et décidons de la suivre. Nous traversons la bordure du Tianguis, le fameux marché aux puces où de nouveau des yeux étonnés (voir ahuris) mais souriants nous accompagnent du regard.
Un petit tour de camioneta et nous voilà à destination
Nous prenons ensuite une camioneta, un minibus que l'on arrête de la main : les passagers nous ouvrent la porte, Mariana jette quelques pièces dans la fente aménagée sur la grille et la grosse planche de bois qui séparent les voyageurs du chauffeur ; le chauffeur ferme la porte avec un système de poulie et de corde qui passe par le rétroviseur et nous voilà partis. Quelques minutes plus tard, nous voilà à destination !
Nous sommes sur une grande rue sans voiture, en bordure du Marché aux puces comme en attestent les nombreux étals installés sur le macadam. D'un côté des petits immeubles en brique et de l'autre une grille le long d'un terrain où pousse des agaves et qui nous l'apprendrons plus tard abrite un centre culturel dont l'accès a été refusé à Mariana.
Le long de cette grille, 2 piquets en bois retiennent une bâche qui abrite un monsieur assis derrière deux gros bidons bleus remplis de pulque ! Des gens sont assis sur le trottoir et l'ambiance est détendue même si l'on sent que ça zone un peu.
Pendant un peu plus d'une heure, nous discutons avec les personnes présentes et dégustons la pulque qui nous est servi dans un sachet en plastique noué sur une paille. C'est très doux, suave et très peu alcoolisée et rassurez-vous cette boisson ancestrale n'a eu sur nous aucun effet psychotrope.
Et c'est parti pour le show de Mariana
Bon c'est pas tout ça, mais il faut lancer l'atelier et ameuter le chaland pour qu'il vienne ou écrire ou écouter ! Un mégaphone et Mariana se lance dans un show à sa manière, c'est à dire décalé et énergique.
Comme elle est infatigable, cela dure un certain temps... voir un temps certain, elle met de la musique sur son téléphone qu'elle tient devant son mégaphone et certains se mettent à danser... Elle rayonne et tous les visages ont le sourire !
L'atelier commence en binôme
Un petit attroupement se fait : Mariana sort une boite de crayons de récup, des chemises cartonnées et elle nous demande d'écrire deux mots : un premier qui nous représente et un second pour dire la chose que nous détestons le plus... Bon jusque là, ça va j'arrive à suivre. Pour moi ce sera : optimista et discriminación... Je me demande bien comment je vais faire pour écrire un poème en espagnol mais je me rassure en me disant que Mariana connait mon petit niveau... Quand elle dit que nous allons être en binôme, je suis rassurée car j'ai repéré deux slameurs avec qui elle va sûrement me mettre...
Fatale erreur, car c'est bien mal connaître Mariana et je me retrouve avec une toute jeune fille qui porte autour de son cou un petit étal de boucles d'oreilles. Elle ose à peine me regarder tellement elle semble impressionnée en m'avouant que c'est son premier d'atelier d'écriture. Je lui propose que l'on prenne quelques minutes pour se connaître et alors elle me raconte qu'elle fabrique des boucles d'oreille qu'elle vend sur le Tianguis, qu'elle fabrique aussi des attrape-rêves auxquels elle ajoute des plumes et que quand elle a peur dans le tianguis elle les serre dans sa main.
Difficile de répondre tellement j'étais émue. Je lui parle de moi, de ma vie. Nous avons créé un lien et nous pouvons maintenant écrire ensemble avec nos 4 mots, les siens étant "bailar" (danser) et "hipocresía" (hypocrisie). Et nous parvenons à toutes les deux à écrire un petit texte que je lirai à haute voix pour le partager.
Un poème géant écrit ensemble
Pour la suite de l'atelier, Mariana nous propose donc d'écrire un poème tous ensemble. Elle reprend la liste de tous les mots des participants et demande à chacun à tour de rôle dans choisir un et de proposer une petite phrase ; par exemple, j'ai choisi le mot "amoureuse" et proposé "amoureuse de la vie". Une fois le stock de mots épuisé, Mariana a pris deux minutes pour les réagencer en un grand poème qu'elle a déclamé dans son mégaphone.
Ce qui c'est passé ensuite m'a semblé le plus important de l'atelier : le moment du debriefing où chacun à tour de rôle a pu exprimer son ressenti sur l'atelier. Mariana a ensuite rappelé son crédo, celui qu'elle martèle sans relâche pour éveiller les consciences : il faut que chacun reprenne possession de sa parole, il faut que les mots reprennent voix et contribuent à changer le monde "Regardez, avec chacun 2 mots, nous avons pu écrire des poèmes, à 2 puis tous ensemble. Voyez le binôme avec Christine, 4 mots pour 2 personnes si différentes, elles n'ont pas le même âge, la même langue, la même culture, la même histoire, et pourtant avec seulement 4 mots, elles ont commencé à se connaître, elles se sont rencontrées...".
A un moment, il a fallu partir mais avant...
L'après-midi touchait à sa fin et Mariana nous a dit que maintenant il nous fallait quitter Itzapalapa...
Mais avant ça, j'ai dit au revoir à ma binôme (dont je le regrette, j'ai oublié le prénom) et je lui acheté une paire de boucles d'oreille que je lui ai demandé de choisir...
Elle a longuement hésité puis m'a tendu des boucles d'oreilles rouges avec des attrape-rêves, rouge parce qu'elle sentait la force en moi et des attrape-rêves car elle m'avait confié ses peurs...
Nous nous sommes serrés tendrement dans les bras et nous avions les larmes aux yeux, car nous savions l'une et l'autre que ce moment resterait inoubliable et que probablement nous ne nous reverrions jamais.
Mariana nous a ensuite remerciés chaleureusement d'être venus dans son quartier car si j'ai bien compris, elle ne reçoit pas souvent de personnes qui viennent des quartiers plus "chics" de Mexico et encore moins des étrangers. Nous avons appelé un taxi mais juste avant qu'il n'arrive, elle a sorti des marqueurs de son sac et nous a demandé de laisser une trace de notre passage sur les grilles qui protégeaient le centre culturel.
Je me pose une question : de quel côté de la grille œuvre-t-on le plus pour la culture ? Je n'ai pas la réponse car je ne suis que passée à Itzapalapa et je n'en ai surement pas appréhendé toute la complexité.
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