Quatrième article sur la Colombie avec l'Amazonie...
Un article sous la forme d'une chronique en 10 épisodes pour tenter de vous faire vivre ce périple invraisemblable et cette première partie vous propose les 5 premiers épisodes :
L'idée folle de Dominique
La rencontre
L'épopée en basses-eaux
Puerto Nariño
Le lac Tarapoto
Épisode 1 : L'idée folle de Dominique
Et si on allait en Amazonie ?
Quand nos amis Alain et Brigitte repartent dans leur Picardie, il nous reste encore 2 mois avant de quitter notre abri cyclonique. Bon, une fois les perpétuels travaux de Shazzan réalisés et mes cours de perfectionnement en Espagnol terminés, Dominique me lance un soir à l'apéro "Et si on allait en Amazonie ?" Euh, comment te dire mon chéri, la jungle, les grosses bêtes qui font peur, les petites qui piquent et sûrement des situations délicates pour une petite bonne femme rondelette qui de surcroît marche mal, tu es certain que ce soit une bonne idée ?
Comme d'habitude, mon co-capitaine est pragmatique et me répond "On va étudier tout ça et on décide après".
Or, il se trouve que, lorsque nous avions ramené Violaine à l’aéroport, nous avions fait la connaissance de Alexandra Davy, une jeune française qui gère une agence de voyage sur mesure en Colombie (https://explorcolombia.com/).
Nous lui racontons nos envies, nos contraintes et elle nous propose un séjour dans la région de Leticia, une ville qui a la particularité d'être à la frontière de 3 pays : La Colombie, le Brésil et le Pérou.
Comment imaginer la réalité des chiffres glanés sur Internet...
Je farfouille sur Internet, lis des compte-rendus de voyage.
Je savais que tout était "plus, plus" en Amazonie, mais les chiffres donnent le tournis !
Et comment imaginer tous ces animaux, toutes ses plantes, toute cette vie ?
Comment concevoir que chaque kilomètre carré abrite pratiquement 91 000 tonnes de plantes vivantes ?
Comment concevoir que plus de 2000 espèces ont été découvertes de 1999 à 2015 ? Et qu'il en reste sûrement encore beaucoup à découvrir.
Oui, on y va ! Euh, t'es sûr ?
Je ne suis pas totalement rassurée, mais je sens que Dominique a vraiment, mais alors vraiment envie d'y aller, alors j'accepte ce projet qui me semble quand même un peu fou et un peu inaccessible pour mon handicap !
Nous validons la proposition d'Alexandra et nous nous préparons en suivant ses recommandations :
prévoir des vêtements couvrants et légers dont des chaussettes hautes,
ne pas oublier le maillot de bain et le répulsif à moustiques,
prendre une lampe torche pour les nuits en forêt...
Bon, pour les vêtements couvrants, le répulsif à moustiques, je comprends bien !
Mais, les chaussettes hautes, c'est pour quoi ? Les serpents venimeux ? Les araignées mortelles ?
Et franchement le maillot de bain, mon dieu, mais on ne va quand même pas se baigner au milieu des piranhas ????
Quant à la lampe torche pour les nuits en forêt, là je me décompose carrément !
Mais, le 26 octobre 2023, alors qu'il fait encore nuit noire et que bizarrement je viens de passer une nuit peuplée d'anacondas qui m'enserrent le cou pendant que des piranhas me boulottent les orteils, je prend mon sac à dos et... mon courage à deux mains ! Direction, l'aéroport !
Épisode 2 : La rencontre
Nous survolons un immense tapis de pompons verts
Décollage... 1ère escale Bogotá et enfin départ pour Leticia ! Très vite, nous commençons à survoler un immense tapis de pompons verts traversé des rubans argentés des cours d'eau, et cela pendant plus d'une heure.
Nos yeux ne quittent pas le hublot tellement cette immensité nous fascine, nous enthousiasme mais en même temps réveille en moi ce petit fond d'appréhension que j'avais mis... sous le tapis !
L'avion se rapproche de la canopée et on aperçoit un trou dans la verdure... c'est la piste !
Je serre fort la main de Dominique, nous y voilà, c'est parti mon Zappy !
Il fait chaud, très chaud !
Nous descendons de l'avion, marchons jusqu'à l'aérogare et nous sommes déjà trempés de sueur, il fait chaud, très chaud et humide ! Récupération des bagages, paiement de la taxe touristique.
Même dans l'aérogare, il fait chaud, ici pas de climatisation, ce qui est une bonne idée car les équipements auraient dus être transportés par avion ou par le fleuve Amazone tout comme les panneaux solaires ou le carburant qui alimente la centrale thermique locale !
Mais quelle idée nous avons eu de nous couvrir autant, car nous sommes bien les seuls en manches longues, les locaux sont plutôt en tee-shirts voir débardeur ! Nous sortons de la zone bagages et nous apercevons une personne avec une pancarte "Christine y Dominique", c'est notre guide Obsimar.
Déjeuner en Colombie, puis caïpirinha au Brésil avec vue sur le Pérou !
Obsimar nous accueille avec un grand sourire et quelques mots en Français ! Nous partons tous les 3 en tuk-tuk pour l'hôtel réservé pour une nuit à Leticia... La ville ressemble finalement à n'importe quelle ville colombienne même s'il y a ici plus de tuk-tuks et de motos que de voitures !
Nous déposons les bagages à l'hôtel et nous partons déjeuner puis prendre une caïpirinha au Brésil ! En effet, la ville de Leticia est à la frontière entre 3 pays, Colombie, Brésil, Pérou !
Le fleuve amazone marque la frontière avec le Pérou tandis que le Brésil est sur la même berge du fleuve, la frontière se résumant à une guérite au bord d'une rue bordée de petits commerces ! Les seules différences visibles sont la langue utilisée sur les panneaux et enseignes ainsi que le symbole de la monnaie sur les prix affichés !
Obsimar, notre guide est Ticuna
Nous en profitons pour discuter avec Obsimar et Miguel, notre chauffeur de tuk-tuk (qui est aussi professeur de langue Ticuna). Tous les deux sont des indigènes Ticuna (qui s'écrit aussi Tikuna)... J'emploie le mot indigène, car si cela est plutôt péjoratif en Europe, ce n'est pas du tout le cas là-bas ! Les peuples autochtones sont fiers de revendiquer le fait d'être indigène, ce qui semble judicieux car cohérent avec le sens du mot indigène qui signifie "Qui est originaire du pays où il se trouve" ou plus précisément " Personne native du pays où elle vit et où ses ascendants ont vécu depuis une époque reculée" (voir définition ici). D'ailleurs, plusieurs peuples indigènes se sont regroupés en Colombie pour former un parti politique afin de défendre leurs intérêts communs, parmi lesquels les Ticunas et les Kogis, car ils estiment que l'avis des peuples indigènes est rarement pris en compte quelque soit le pays.
Les Ticunas sont un peuple amérindien d’Amazonie dont le territoire se répartit sur le Brésil, la Colombie et le Pérou.
Ils étaient autrefois appelés Tucuna, du Taco-one, qui signifie « hommes peints en noir », en raison de leur coutume de se peindre le corps avec le jus du fruit du huito, un arbuste appelé chez nous Genopa américain.
Ce jus est cicatrisant, antifongique, bactéricide, germicide et de plus il repousse les moustiques.
Les ticunas seraient entre 50 à 60000 et a priori, les 2/3 parleraient une langue qui ne ressemble à aucune autre connue et qui a la particularité d'être tonale. On peut toutefois largement imaginer, qu'avec l'arrivée du tourisme et plus récemment de Starlink, le nombre de locuteurs risquent de diminuer !
Obsimar connait Aubagne... non mais ?????
Mais retournons au Mirador Komara au Brésil et papotons en dégustant notre caïpirinha avec Obsimar et Miguel.
Obsimar : D'où vous venez-vous?
Nous : Aubagne, dans le sud de la France
Obsimar : Aubagne.... Je connais, Cassis, La Ciotat, les calanques
Nous : Nonnnnnnnnn!!!!!!!!
Obsimar : Si, j'ai un fils qui vit à Cuges-Les-Pins car j'ai été en couple avec une française venue faire du bénévolat à Puerto Nariño ! C'est pour cela que je connais quelques mots de français !
Totalement improbable, Cuges-Les-Pins est à 15 minutes d'Aubagne, nous avons d'ailleurs rencontrer le fils de Obsimar et sa maman lors de notre passage en France quelques mois plus tard.
Qu'est-ce que la richesse ?
Nous parlons de l'Amazonie, de la culture ticuna... Pendant nos échanges, Obsimar emploie plusieurs fois le mot richesse, il l'associe aux mots eau, air, terre, animaux, forêt, arbre, pluie, fleuve, poissons, oiseaux, plantes, celles qui grandissent dans la nature et celles que l'on cultive pour se nourrir...
Est ce que nous utiliserions les mêmes mots, je veux dire spontanément, est ce que nous utiliserions le même type de mot pour parler de la richesse de la France ? Dans le meilleur des cas, nous dirions gastronomie, culture mais peut-être aussi certains d'entre-nous évoqueraient le PIB ou les fleurons de notre industrie !
Leçon de philosophie 1 : La nature et ses éléments sont la véritable richesse de l'humanité.
Avant de nous quitter devant notre hôtel, je confie mes craintes à Obsimar qui a bien vu que je marchais mal ! Mais, il me rassure avec son immense sourire et son regard bienveillant : ne t’inquiètes pas Christine, je t'aiderai. Bon, je me sens plus rassurée, avec ses deux chevaliers, Dominique et Obsimar, la princesse bancale devrait s'en sortir !
Demain nous allons remonter l'Amazone sur 75 km pour rejoindre Puerto Nariño, une petite ville où les seuls moyens de locomotion terrestre motorisés sont l'ambulance et le camion qui ramasse les déchets recyclables. Rendez-vous à 8h00 devant l'hôtel...
Épisode 3 : L'épopée en basses-eaux !
Le temps version occidentale et amazonienne
Dès 7h45, nous sommes au taquet :
savonnés de la tête au pieds et vaporisés au Nopikex, le répulsif colombien le plus efficace (proposé en savon et spray) qui ne serait probablement pas homologué en France,
baskets au pied prêtes à en découdre,
bâtons de marche à la bonne longueur,
gourdes d'eau accessibles dans le sac à dos !
Nous attendons, nous attendons.... Nous appelons Obsimar par Whatsapp sans succès... Nous savons que nous devons prendre une navette fluviale rapide sur les berges de l'Amazone et qu'il y aura un peu de marche à pied... Donc, évidement, je commence à penser que, vue ma vitesse de marche, je vais louper la fameuse navette ! Tranquille, Obsimar arrive un peu avant 9h sans aucune trace d'un stress quelconque, on a le temps ! Espèce d'occidentale à qui on a appris que "la ponctualité est la politesse des rois " et autre "l'heure, c'est l'heure" ! Nous sommes en Amérique du Sud et de surcroit en Amazonie, alors il va te falloir mettre les pendules à l'heure locale et repenser à tes cours de philo de terminale où l'on t'a pourtant bien expliqué le rapport entre la conscience du temps et la perception de la durée.
Leçon de philosophie 2 : Le temps ne se mesure pas avec les horloges, la notion de durée est subjective et culturelle.
Crapahuter pour rejoindre les berges du fleuve
Nous voilà repartis en tuk-tuk . Arrivés près du marché, Obsimar recrute un jeune homme pour nous aider à porter les bagages et nous explique que nous devons le suivre, lui nous retrouvera à l'embarcadère.
En observant autour de nous les maisons sur pilotis, les ponts enjambant comme des lits de rivières asséchées, nous comprenons que nous sommes en saison de basses-eaux et que le fleuve doit monter jusqu'au marché pendant la saison des pluies, ceci expliquant la distance pour rejoindre la berge (entre 1 à 2 km).
Nous croisons une file ininterrompue de personnes marchant à la queue-leu-leu qui un gros sac sur la tête, qui des cabas pleins à craquer. Les voyageurs sont comme une procession de fourmis, dans un sens, ceux venant vendre leur récolte ou des objets d'artisanat à la ville, dans l'autre, ceux chargés de sacs de courses ou de bidons avec probablement l'essence nécessaire pour la barque familiale...
Je vais le plus vite possible, enchaînant les posés de bâton malgré la chaleur plombante qui coupe le souffle et la sueur qui ruissèle non seulement dans le dos, mais sur tout le corps !
Une, deux, une, deux, je mets mon cerveau sur "off" et j'avance les pieds l'un après l'autre.
Notre arrivons près du fleuve et nous voyons notre assistant bagages se gratter la tête !
En fait, il nous laisse à l'ombre sous un appentis de bois où l'on vend des boissons et part se renseigner... Manifestement, il ne sait absolument pas où il faut aller car nous le voyons interroger plusieurs personnes !
Nouveau petit coup de stress, car en observant la topographie du lieu, je subodore que le fleuve est très, très en contrebas ! Zen, Christine, zen !
"Venga, venga" nous voilà repartis dans l'autre sens !
Nous nous rapprochons de la berge et là je vois que l'eau est environ 15 mètres plus bas et que les embarcadères sont accessibles par des marches taillées dans l'argile de la berge avec, dans le meilleur des cas, une corde attachée à quelques piquets pour servir de rampe !
J'aperçois Obsimar qui nous attend un peu plus loin... près du même type d'embarcadère avec en fin de parcours des planches "sécurisés" avec des petits (très petits) tasseaux pour éviter de glisser !
Je vous l'avoue, l'idée que mon voyage en Amazonie s'arrêterait ici m'a effleurée mais bon, quand faut y aller, faut y aller.
Accrochée à la corde comme une moule à son rocher, les neurones totalement centrés sur le tasseau suivant, je tente de faire abstraction de la file qui se crée derrière nous. Dominique devant retient mon pied quand je le descend d'un cran, Obsi (oui, ça rapproche une telle expérience, alors on en vient vite au diminutif), donc Obsi me retient par le bras...
Je finis par arriver en bas, le short et les baskets maculés de terre, la nausée au bord des lèvres, les jambes tremblantes et la tête qui tourne, mais vivante ! Ça, c'est fait !!!!
Et je vous assure que les photos ne sont que de piètres reflets de la réalité topographique du terrain !!!!
Leçon de philosophie 3 : Mieux vaut ne pas s'autolimiter, souvent on peut faire beaucoup plus que ce que l'on croit !
Remontée le fleuve Amazone.... Non mais, c'est dingue !
Bon allez c'est pas tout ça, on embarque et c'est parti pour 2 heures. Comme la navette est le seul moyen de transport pour se rendre dans les différents villages, les passagers ont beaucoup de bagages et le personnel les entasse sur le roof du bateau, les voyageurs prenant place à l'intérieur. On se croirait dans un bus, à la différence près qu'il nous faut enfiler un gilet de sauvetage orné d'un magnifique dauphin couleur rose ! Non, ce n'est pas un effet de la fatigue de mon précédent exploit, il y a bien des dauphins roses dans le fleuve Amazone... Ils sont roses pour la même raison que les flamants de Camargue, ce sont les petits crustacés dont ils se nourrissent qui leur donnent cette couleur girly, d'ailleurs les juvéniles sont gris !
Une fois le chargement des bagages et passagers terminé, le pilote démarre le moteur et nous voilà naviguant sur le fleuve Amazone, nous nous regardons et nous avons du mal à réaliser que nous sommes bien là et que nous ne rêvons pas !
Le fleuve est large (entre 1,5 et 2 km) et paisible, même si des troncs apparaissent de temps en temps et que le courant les poussent rapidement vers l'aval. Des maisons ou des cabanes, isolées ou en petits villages, sont bâties de-ci de-là sur les rives qui deviennent au fil de l'eau moins escarpées. Nous croisons un bateau qui transporte des matériaux de construction et d'autres navettes toutes aussi chargées les unes que les autres. Ici, il n'y a pas de route et donc tout se transporte par voie d'eau.
Tout semble aller comme sur des roulettes... enfin vous comprenez ce que je veux dire, tout est tranquille et aucune galère ne se profile à l'horizon ! Oui, enfin, jusqu'au moment où le pilote éteint le moteur, Dominique n'a pas l'air étonné car il avait remarqué que le chauffeur avait du mal à tourner le volant ! Nous voilà donc dérivant sur le fleuve Amazone avec une panne de direction ! Nous sommes manifestement les seuls à nous inquiéter, d'ailleurs Obsi nous rassure d'un regard. Un bidon d'huile pour remplir le réservoir et nous voilà repartis !
Peu après, nous voyons des passagers qui rassemblent leurs affaires et s'approchent de la porte qui ferme l'habitacle ! Mais comment vont-ils descendre, il n'y pas trace de ponton ! Ça c'est bien un problème de riches, car cela ne pose en fait aucun problème, le pilote avance vers la rive, colle l'avant du bateau "dans" la berge, laisse le moteur en marche avant et oriente la barre pour contrer le courant et ainsi maintenir le contact bateau/berge. Le second du bateau, aide les gens à sauter à terre et leur passe les bagages... Rien de plus simple, enfin... j'adresse une prière à l'anaconda veillant sur le fleuve : pourvu qu'il y ait un ponton à l'arrivée ! Et bien, il faut croire que j'avais choisi le bon interlocuteur car à l'arrivée à Puerto Nariño, il y a tout ce qu'il faut, ponton, petit marchepied pour que je descende avec le port d'une reine rejoignant un royaume inconnu.
Épisode 4 : Puerto Nariño
Côté Carte Postale : très (trop ?) touristique !
Accéder au village est nettement plus facile car la berge est moins élevée et mieux aménagée. Le village est tout mignon, des maisons en dur, un terrain de sport, une esplanade avec des statues d'animaux locaux, des rues bien propres mais on sent au nombre de petits étals d'artisanat local que le village reçoit beaucoup de touristes ! C'est beau, charmant, il n'y a pas de voitures mais ce n'est pas vraiment ce à quoi nous nous attendions.
Nous nous régalons d'un poisson chat pêché dans le fleuve et deux amies de Obsi nous rejoignent... L'une d'elle, Cielo, est une jeune mexicaine vivant depuis 6 mois en Amazonie. Elle est originaire de Itzapalapa à Mexico... Itzapalapa, ça ne vous dit rien ? Vraiment ? Mais si, souvenez vous, c'est la favela où nous avons participé à un atelier d'écriture sur le trottoir avec Mariana (voir article ici).
Donc je résume, nous déjeunons avec un guide ticuna qui connaît Aubagne et une mexicaine qui est née dans le même quartier que notre amie Mariana, un quartier inconnu des touristes car jugé trop dangereux ! Franchement, je vois ça dans un film, je me dis que le scénario n'est pas très crédible ! La vie est dingue !
Pour le dépaysement : la cabane au fond de la jungle
Cielo et Obsi nous accompagnent et notre lancha emprunte un petit bras de rivière pour gagner notre hébergement.
Près du village, nous voyons de nombreuses affiches et Obsi nous explique que le prochain dimanche se tiendront des élections. Puerto Nariño va se remplir pendant plusieurs jours car les indigènes des différentes ethnies vont se déplacer en famille pour venir voter.
Le paysage inspire la sérénité, les maisons flottantes bordant la rive se font plus clairsemées, sous un parasol, des femmes lavent leur linge dans l'eau un peu limoneuse de ce bras de l'Amazone...
Plus loin, des tapis de plantes aquatiques rappellent qu'à la saison des pluies, le fleuve reprendra ses droits et qu'il recouvrira ces îles éphémères...
Mais décidément, ce sera une journée toute en contraste pour moi, car la sérénité me quitte subitement quand je comprend que l'hôtel est juché là-haut sur la colline. Finalement, ce n'est pas pour rien que notre hébergement s'appelle "Cabañas Alto del Aguila" (alto signifiant haut et aguila aigle)...
Et c'est reparti : après la descente homérique du matin, je dois affronter une longue, très longue remontée sous une chaleur qui croît au fur et à mesure que l'on s'éloigne du fleuve.
Je n'ai plus de force dans les jambes, mes muscles se tétanisent, je tremble, je monte de quelques mètres, je fais une pause, de nouveau quelques mètres suivis d'une nouvelle pause : tu n'es pas arrivée en haut, ma cocotte !
A un moment, Obsi me propose de rebrousser chemin et de me trouver un hôtel à Puerto Nariño, mais j'ai déjà fait la moitié du parcours alors non, je ne vais pas lâcher l'affaire, il faut juste me laisser le temps !
Pour voir la montée en vidéo, c'est ici : https://www.youtube.com/shorts/eI7N6eNv3ig
Et grâce à l'aide de Dominique, Obsi et Cielo (et ma ténacité un peu quand même), j'arrive en haut et franchement, ça valait le coup de faire des efforts : des cabanes dans la jungle, l'accueil des singes qui courent sur les toits et se suspendent un peu partout, des perroquets rouges, bleus, jaunes qui viennent bécoter mes bâtons de marche !
Ivre de fatigue, sans possibilité de diner, je pourrais me sentir un peu déprimée mais bien au contraire, je m'allonge sur le lit de notre cabane, je ferme les yeux et je m'immerge progressivement dans l'univers sonore de la jungle, des bruits d'animaux, d'oiseaux que je ne saurais nommer...
Petit à petit, je me sens submergée par une vague de bonheur indicible, je me sens au milieu de la nature ou plutôt je pense que je comprends enfin pourquoi les Kogis n'ont pas de mot pour nommer la nature, car ils ne la considèrent pas comme une entité séparée des humains. Pour eux, tout est relié pour former un grand corps vivant et à ce moment-là, dans ma cabane là-haut dans la jungle, je me sens vraiment faisant partie de ce grand corps vivant. C'est un sentiment qui me remplira très souvent pendant notre séjour en Amazonie... C'est un sentiment que je ressens aussi parfois en pleine mer, la sensation d'être juste à la bonne place, juste un petit grain de poussière minuscule mais un petit grain essentiel faisant partie intégrante de l'univers.
Leçon de philosophie 4 : L'être humain est une espèce parmi les autres, ni plus, ni moins... En être conscient, c'est se sentir à la bonne place et protéger la nature pour les générations futures.
En même temps, c'est un monde inconnu et si, allongée dans ma cabane avec la porte "bancalement" fermée et des moustiquaires aux fenêtres, je plonge avec délectation dans cet univers sonore c'est aussi parce que je me sens en sécurité. Je fais moins la maline quand je dois aller vaquer à des besoins naturels au milieu de la nuit, car les lieux d'aisance sont à l'extérieur ! C'est la fonction torche du téléphone allumée, les pieds dûment chaussés de baskets et surtout les yeux scrutant le sol et les alentours que je me rends aux toilettes... où je vérifie l'absence de bestioles quelconques avant de poser mon auguste derrière sur la cuvette ! Et croyez-moi, je ne traîne pas !
Épisode 5 : Le lac Tarapoto
La journée commence bien...
Réveil de bonne heure, douche à l'eau froide (ce qui n'est pas nous déplaire vu la température)...
Dégustation d'un bon café colombien et de fruits frais en admirant le bras de l'amazone en contrebas...
Nous retrouvons Obsi et Cielo et nous partons tous les 4 dans la lancha de Obsi. Nous nous engageons dans un nouveau petit bras de rivière pour rejoindre le lac Tarapoto. Nous avions compris que les dauphins roses vivaient dans ce lac, mais Obsi nous explique que les dauphins s'ébattent dans le lac uniquement quand les eaux sont hautes mais qu'à cette saison ils migrent vers le fleuve où nous irons les voir plus tard dans la journée.
En harmonie avec la nature
Nous sommes en pleine nature... et les mots qui me viennent sont sérénité, paisibilité, harmonie, une telle beauté que je surprendrai à plusieurs reprises Dominique béat et les larmes aux yeux...
Ici un arbre qui marche et qui peut se déplacer sur plus de 20 mètres voir 50 au cours de sa vie en faisant pousser ses racines sur un côté et en les abandonnant de l'autre (en savoir plus sur l'arbre qui marche)
Là c'est l'arbre Ceiba ; c'est un arbre dit émergent car du haut de ses 40 mètres ou plus, il domine la canopée, ce qui explique probablement, pourquoi, pour de nombreux peuples amérindiens, il connecte le ciel et les étoiles à l'inframonde et qu'il est sacré. En français, nous l'appelons fromager ou kapokier (oui, car c'est bien cet arbre qui fournit le kapok, cette bourre qui sert à remplir coussins et autre oreillers !) (en savoir plus sur le ceiba)
Le nombre de papillons est impressionnant... et à en voir autant, je me rappelle, que quand j'étais enfant, il y avait beaucoup plus de papillons de France que maintenant...
Partout, il y des oiseaux, des hérons, des aigles et beaucoup d'espèces dont nous ne connaissons pas le nom mais dont nous admirons le vol ou les couleurs ! Ceux posés sur les branches qui émergent de l'eau, s'envolent au dernier moment à notre arrivée et encore ils ne se déplacent que de quelques mètres, juste pour nous laisser passer en quelque sorte !
Nous nous étonnons que les animaux n'aient pas peur de nous et ne s'envolent pas à tire d'aile dès qu'ils entendent le bruit de notre moteur ; cela nous vaut un regard amusé de Obsi : non ici les animaux n'ont pas peur des hommes, ils savent que les bipèdes du coin ne prélèvent que ce dont ils ont besoin après avoir demandé l'autorisation à Abuela (grand-mère) comme ils appellent la jungle en signe de respect... Il nous explique, que quand un ticuna croise un jaguar dans la jungle, un animal qui peut être dangereux, il s'arrête face à lui et lui parle pour lui expliquer qu'il ne lui veut pas de mal, qu'il ne veut pas le tuer mais le respecte et la plupart du temps, l'animal continue son chemin sans attaquer l'homme. Et d'ajouter avec l’œil espiègle "C'est tout à fait normal que les animaux n'aient pas peur des hommes et si ce n'est pas pareil chez vous, il faudrait peut-être vous poser les bonnes questions" .
Nous arrêtons la barque près d'une des rares cabanes sur pilotis. Obsi met sa main à plat juste immergée sous la surface de l'eau et après quelques minutes, nous voyons une masse sombre qui s'approche, c'est un manati (lamentin) qui vient nous voir et se met sous la main d'Obsi pour se faire caresser !
Nous mettons alors notre main dans l'eau et nous attendons qu'il vienne à notre rencontre.
C'est un moment magique surtout au moment où il sort sa tête de l'eau et où nous échangeons un regard en plus de la caresse.
C'est en silence que nous quittons cet endroit magique car nous sommes tous les 4 bouleversés par ce moment de connexion, même Obsi a les yeux humides.
Leçon de philosophie 5 : Si tu respectes la nature, n'y prélèves que le strict nécessaire et si tu rentres en communication avec elle, tu pourras vivre en harmonie avec les animaux car la peur disparaitra de chaque côté.
Pour parvenir jusqu'au lac, il nous faut à de nombreuses reprises descendre de la barque et la désengager de haut-fonds où elle s'est posée. A certains endroits, les courageux qui descendent dans l'eau s'enfoncent dans la vase jusqu'aux genoux !
Pour votre information, sachez que le lac de Tarapoto s'étend sur 40000 ha, qu'il héberge de nombreuses espèces (883 de plantes, 244 d’oiseaux, 176 de poissons, 30 de reptiles, 201 de mammifères et 57 d’amphibiens). Selon la fondation Ochama (qui a œuvré avec le WWF pour que le site soit inscrit à la liste de la convention Ramsar sur les zones humides d’importance internationale), le lac Tarapoto est considéré comme "un habitat clé pour les espèces menacées comme le pirarucú, le lamantin, le caïman noir et le jaguar ". Un habitat clé ? Cela ne vous rappelle rien ? Moi, je pense immédiatement aux Kogis et à leur concept de zones considérées comme les pères et mères d'une espèce ! (en savoir plus sur la protection du lac Tarapoto)
Un drôle de poisson préhistorique, le cucha
Une fois au lac, Obsi nous propose de faire une pause dans une communauté ticuna installée au bord du lac.
Nous descendons de notre barque et voyons un étrange poisson dans la lancha voisine. Il s'agit d'un poisson préhistorique appelé localement Cucha qui peut vivre hors de l'eau pendant une semaine.
Il a une drôle d'allure avec comme des plaques cuirassées épaisses et dures organisées en mosaïque sur le dos, une tête triangulaire et une bouche du style ventouse sur sa face ventrale.
Il se nourrit de crustacés mais aussi de reste de végétaux, d'algues, de bois en décomposition, on peut donc le qualifier de nettoyeur. Cielo ajoute qu'il vit dans les trous creusés dans la berge que nous avons vu en venant au lac. Il est largement consommé par la population et j'ai lu qu'il était un super-aliment avec une forte concentration en vitamines (A, C, E et B12) et minéraux phosphore, fer et iode) et avec d'avantage de protéines que la viande de porc ou de bœuf.
Un moment de partage des plus improbables dans une communauté Ticuna
Nous laissons cet étrange animal et nous rejoignons une maison sur pilotis au sec en cette saison sèche. Nous voilà attablés avec Cielo et Obsi en compagnie de la famille qui nous accueille chez elle, uniquement des femmes car les hommes sont tous partis à Puerto Nariño pour préparer les prochaines élections. Encore une fois, un sentiment de paix nous anime, la maman et sa petite au sein se balancent tranquillement dans un hamac, les autres femmes papotent pendant que les enfants jouent au ballon un peu plus loin... Ici pas un bruit étranger à la nature, pas une trace d'avion dans le ciel !
Nous papotons gastronomie...
Nous discutons de l'Amazonie, de la Colombie, de la France, du Mexique... Nous parlons alimentation et les dames Ticuna éclatent de rire quand nous expliquons qu'il peut y avoir plusieurs couverts, fourchettes, couteaux, cuillères autour de l'assiette en France et que l'on mange rarement avec les mains !
Nous comparons système politique et corruption...
Nous parlons politique et corruption et elles ne sont pas moins étonnées quand nous expliquons qu'un ancien président de la république française est poursuivi en justice pour tout un tas de motifs, parmi lesquels corruption active, faux et usages de faux, détournement de fonds...
Nous racontons nos expériences...
Cielo nous parle de sa vie dans des communautés, maya au Mexique et ticuna en Amazonie colombienne et péruvienne. Nous leur racontons nos voyages, la Gambie, Cuba, les Bahamas, la navigation, la nécessité d'être autonome donc économe, les tempêtes, les quarts. Et Obsimar parle de ses treks dans la jungle avec des touristes. Il voyage léger avec seulement un hamac, du riz, de huile, du sel et de quoi chasser et pêcher, la nature pourvoyant au reste. Lors d'un de ces treks de plusieurs semaines, avec ses clients, ils se sont enfoncés dans la forêt et ils ont eu le bonheur de croiser un anaconda et un jaguar, mais la plus stupéfiante rencontre fut un indigène qui avait les dents limés en pointe, probablement parce qu'il ne mangeait que des aliments (dont la viande) crus. A sa réaction, Obsi pense que l'homme qu'il a croisé n'avait jamais rencontré de personnes vivant dans le monde "moderne"... Il explique aussi qu'il y a probablement d'autres communautés comme celles là dans la forêt, car la surface de la forêt amazonienne est immense et les satellites sont totalement inopérants pour voir sous la canopée.
Avec la même curiosité de part et d'autre
Finalement, que nous soyons français, mexicain ou ticuna, la curiosité et l'étonnement sont exactement, les mêmes. Le temps suspend son cours et je ne saurais vous dire combien de temps nous sommes restés ensemble à discuter !
Leçon de philosophie 6 : Quelque soit ton ethnie, le pays où tu es né, celui où tu vis, la curiosité et l'étonnement sont les mêmes.
Une baignade dans le fleuve Amazone, même pas peur
En milieu d'après-midi, nous dégustons les tamales (poulet pommes de terres cuit à l'étouffée dans une feuille de bananier) et les fruits que nous avons apportés puis nous repartons vers Puerto Nariño. Nous cherchons en vain les dauphins roses et nous finissons la soirée en nous baignant dans le fleuve Amazone.
Euh, ce n'est pas un peu dangereux Obsi ? Les piranhas, tout ça, tout ça ? Éclat de rire, les piranhas qui dévorent les humains, ça c'est dans les films hollywoodiens ! Bon, si tu as une plaie et qu'ils ont faim, ils vont venir te picorer mais ils ne vont pas faire de ton petit corps un squelette tel le Arthur qui trône dans tout salle de sciences nat qui se respecte ! Par contre, il ne faut pas faire pipi dans l'eau car vit ici un petit poisson-chat (candiru) qui aime bien remonter dans les urètres ! (En savoir plus sur la cucha, le candiru et les piranhas)
Un coucher de soleil pour clôturer cette magnifique journée
Nous regagnons ensuite Puerto Nariño mais nous dormons dans un hôtel du village, bien plus accessible. Nous profitons d'un magnifique coucher de soleil.
Ainsi s'achève cette première partie de notre chronique amazonienne, mais nous nous retrouverons bientôt pour les épisodes 6 à10... Rendez vous à Amacayacu !
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