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Les Kunas vus par notre équipière Violaine



Violaine a été notre équipière pendant plusieurs mois et c'est elle qui aujourd'hui nous parle du peuple Kuna, un peuple qui vit au Panama et que nous avons rencontré dans les Îles San Blas. Si vous voulez en savoir plus, vous trouverez une mine d'infos sur ce blog

Les Capitaines de Shazzan



Des chamans, des pirates et Nike – 03 août 2023

Je m'apprête à quitter le territoire kuna, les San Blas ou Kuna Yala, et j'ai envie de vous en parler un peu. Ceci n'est pas une thèse qui ferait suite à de longues recherches, seulement quelques éléments glanés ou observés et des ressentis. Pour le partage et peut-être l'inspiration... Un peu d'histoire, pour donner le la.  


Les Kunas sont des amérindiens originaires des montagnes de Colombie, où ils vivaient en harmonie avec la nature (pas toujours avec leurs voisins), selon leurs coutumes et croyances. Ils cultivaient la "terre-mère", avaient dans leurs communautés des chamans et femmes ou hommes-médecine et connaissaient le chant des oiseaux, des fleuves, des rivières et du vent. Leur langue s'écrivait en hiéroglyphes. Leur organisation était peut-être déjà matri-linéaire et matrilocale. (On en reparlera).

 


Un jour, sûrement très triste, des blancs sont arrivés sans être invités (je ne vous ai pas dit, eux ils sont couleur caramel, plutôt petits et souvent très beaux). C'était un jour du 16e siècle. De grands héros aventuriers, casqués, barbus et vraisemblablement peu souriants, venus civiliser les sauvages, ont commencé par leur demander de s'habiller (et si ça s'trouve ils n'ont pas dit s'il-vous-plaît).



Les femmes kunas à l'époque se peignaient entièrement le corps de motifs géométriques et de symboles colorés (les hommes, je ne sais pas).  Ensuite ils les ont virés de leurs montagnes, parce que, et pis c'est tout. C'est alors qu'ils ont créé leurs costumes en reproduisant les graphismes qui leur étaient propres, en une sorte de superpositions de tissus. Ça s'appelle des molas, aujourd'hui encore utilisés pour leurs tenues, et proposés en artisanat local, comme des petits tableaux de coton.



  

Les blancs étaient espagnols. Conquistadors qu'on disait. Ils auraient pu être français. Ailleurs ils l'étaient. Habillés et déménagés d'office, encombrés d'une religion dont ils n'avaient pas besoin aussi, pour la route, ils se sont retrouvés sur l'archipel, côté Atlantique, et sur une partie de l'actuel territoire panaméen (à l'époque colombien). On a normalement tous une idée des violences et humiliations qu'ils ont eu à subir, en chapelets...

 

Au début du 18e, les Kunas des (370) îles ont réussi à mettre les Espagnols dehors, grâce à une alliance avec des pirates européens présents dans la région Caraïbes ! Une fois l'affaire rondement menée, ces derniers ont continué leur route (et leur "commerce"...) plus loin.

 

Le Panama en 1903 s'est trouvé indépendant de la Colombie.

 

En 1925 le gouvernement panaméen a voulu interdire aux Kunas la tenue traditionnelle... (Mais quand est-ce qu'on se sape, ou pas, comme on veut en fait ???), ce qui a provoqué une "petite" révolte... qui a abouti à une autonomie accordée au peuple Kuna, aujourd'hui encore valable !

 

En 2019 ils ont attaqué Nike pour copie illégale d'un motif kuna sur des baskets, dont la vente a finalement été annulée !

 

Ils sont couleur caramel, plutôt petits et souvent très beaux, donc, et promènent une vraie philosophie de vie... Aujourd'hui aussi.

 

 

 

Des regards, des miroirs et toujours Nike ! - 08 août 2023

 

Je n'aurais pas dû m'engager à vous partager mon regard sur les Kunas version 2023... Tenter le tableau, même esquissé, d'un peuple (tout comme le portrait d'une personne d'ailleurs) est forcément médire, mal dire. Mais mon passage sur leur territoire m'a touchée. Pourquoi ? Les fameux effets miroirs qui interrogent et souvent dérangent sans doute ? L'idée un peu romantique d'une résistance (presque) pacifique ? Mais j'ai promis en quelque sorte, alors je vous livre quelques images, sensations et réflexions, toujours modestement et en forme de mosaïque.

 

 

À peu près 70 îles sur les 370 de l'archipel sont habitées. Parfois d'une seule paillote qui abrite une famille, d'autre fois ce sont de véritables villages, pour certains reliés par deux via un pont. Hormis quelques lanchas (barques de pêcheurs), aucun moteur ne trouble l'environnement sonore, la plupart se déplace en cayuco (pirogue taillée d'une seule pièce).



Pas de route mais des chemins parfois très étroits et toujours très propres. L'essentiel des bâtiments est fait des bois des montagnes ou des mangroves, avec des toits de feuilles de palmes qui recouvrent un sol en terre battue. Ici et là un panneau solaire. (Il arrive que le seul bâtiment en dur soit l'église... une vraie réussite que cette entreprise mondiale... La monarchie catholique de l'époque de Christophe Colomb serait fière de son ouvrage !)



Les visiteurs sont le plus souvent des marins, ou alors des touristes venus de Panama City pour quelques jours via de petites structures, toujours tenues par des Kunas qui leur réservent certaines îles aménagées pour les héberger. Il peut y avoir une vraie misère et nous avons ressenti que le "niveau de vie" diffère d'une île à l'autre, pourtant le plus souvent une sorte de joie paisible se lit sur les visages.


Le plus troublant réside peut-être dans ce que leur accueil, leur façon d'être avec nous, raconte d'eux, et peut-être de nous.


Ivin, chez qui nous avons mangé des langoustes qu'il nous avait cuisinées, nous a dit dans un sourire et un peu comme une évidence, que les bateaux qui étaient là aujourd'hui étaient les "mêmes" que ceux venus jadis aider à défendre leur liberté (pirates européens).


Autant dire des amis, parce que les navigateurs d'aujourd'hui sont souvent de mêmes nationalités... Ceci explique peut-être en partie cela. Ils sont quasi toujours avenants et réellement curieux à notre encontre.  



Leur intérêt sonne sincère et surtout ils semblent ne se sentir ni inférieurs ni supérieurs à nous. Ils ne paraissent pas nous envier, et on ne peut que se demander s'ils n'ont pas raison...


D'eux se dégage une confiance puisée dans leur histoire, leurs croyances, et aussi leurs connaissances de la nature pour se soigner et se nourrir. Il est difficile de ne pas penser que ce type de savoirs nous a été volé au fil des temps, à nous, et que cette conscience distordue qui nous reste nous fait sans doute aller droit dans le mur.


Pourtant ils font, eux aussi, avec le monde actuel. Ils sont pour un certain nombre connectés à Internet, mais vivent ensemble (quand même) et parlent leur propre langue. Ils n'apprennent l'espagnol qu'à partir de leur 2e année d'école.


Leur Saïla, sorte de griot, leur conte leur histoire, le respect de la nature et transmet leurs sciences.





Ils savent pêcher, vont chercher de l'eau douce dans des rios où surgissent des sources, cultivent au milieu de la jungle des bananiers qui poussent à l'ombre des cocotiers, à côté des cacaoyers et des manguiers, non loin de quelques cannes à sucre. Ils souriraient sûrement, mais sans cynisme je crois, de notre enthousiasme récent pour la permaculture !  

 

Ils font aussi avec la riche et lointaine capitale vers laquelle leur production part pour l'essentiel, et où leurs vieux vont sans doute finir leur vie, quand une partie des jeunes va y étudier. Pourtant, loin des buildings de la ville on peut entendre, au soleil couchant des îles, l'énigmatique son d'un coquillage dans lequel on souffle.


 

Ils font également avec la présence de l'armée parce qu'ils sont sur la route du trafic de cocaïne colombienne ; et avec les chips et sodas nouveaux venus, dont les déchets agrandissent le bord de certaines îles. Du large d'autres plastiques dérivent depuis l'arc antillais et les rejoignent…


Parler de leurs îles qui disparaitront bientôt sous la montée des eaux et subissent déjà pour certaines de gros dégâts au moment des grandes marées, c'est avoir en réponse un sourire qui nous explique avec bienveillance que tout est mouvement, qu'avant ils vivaient dans les montagnes de Colombie, et qu'ils iront vivre ailleurs le moment venu.


Ça ne ressemble pas à de la résignation, plutôt à de l'acceptation teintée de confiance en eux, qui parait une force incroyable. Il y aurait trop à dire et surtout à comprendre et respecter, tout ça interroge les notions d'identité, de cultures, de territoire, de référentiels, de ce qui sépare et de ce qui relie...

 

J'arrive en Colombie et j'apprends qu'ici aussi une communauté matri-linéaire est indépendante, a résisté aux espagnols, parle toujours sa langue, poursuit ses savoir-faire ancestraux... Est-ce qu'on nous aurait caché, à l'école (et aux infos) que nombre d'humains ont su résister au pouvoir ?! Que certains - même chez nous peut-être - sauvegardent et inventent au présent, s'adaptent sans se nier, sont possiblement autant d'exemples qui peuvent inspirer notre avenir commun et sa bonne tête de dédale infernal, il faut bien le dire ? Tout ça est immensément complexe et passionnant. Le monde est grand et on peut aussi y puiser de quoi espérer sans doute.


Si, comme le croient les Kunas, nous avons plusieurs vies, il faudra que je me rappelle de renaître anthropologue (ou dauphin).



POST SCRIPTUM : Il n'empêche, pour l'histoire de Nike, ils auraient pu demander de l'argent et ils ne l'ont pas fait. Moi, je trouve ça classe !

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