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Colombie #2 : Les Grands Frères Kogi

La Sierra Nevada de Santa Marta est une chaîne de montagne plongeant dans la mer des Caraïbes. C’est l’un des plus hauts massifs côtiers du monde (avec un pic culminant à 5 775 mètres). Cette chaîne montagneuse abrite, du fait de la variété de ses écosystèmes, une biodiversité impressionnante tant sur terre qu'en mer ce qui lui vaut d'être déclarée réserve de biosphère par l’Unesco depuis1979. 


Village Kogi - Carnet de Voyage réalisé par Alain Colin® 2023

La Sierra Nevada de Santa Marta, c'est aussi ici que nous avons effleuré la culture millénaire du peuple amérindien Kogi…



Nous voudrions vous convaincre de les découvrir

Un peuple dont l’histoire remonterait à plus de 12 000 ans

Pour les Kogis, la Sierra Nevada de Santa Marta, c’est « le cœur du monde ». Ce peuple descend des Tayronas, l’une des plus grandes et anciennes sociétés précolombiennes du continent sud-américain avec une lignée ininterrompue de plus de 4000 ans et une histoire qui remonterait, selon certains anthropologues, à plus de 12000 ans !


Que l'on parle de 4000 ans ou de 12000 ans, cela donne le temps...


  • Le temps de comprendre l’importance de vivre en harmonie avec les mondes visibles et invisibles.


  • Le temps d’appréhender les règles de vie permettant d’atteindre l’équilibre tant au niveau personnel qu’au niveau de la vie en société.


  • Le temps de savoir que toutes les composantes du grand corps vivant qu’est « Terre-Mère », sont faites des mêmes éléments (eau, minéraux, gaz) et que toutes sont interdépendantes. D'ailleurs, les Kogis n'ont pas de mot pour dire "nature", puisqu'elle n'est pas une entité "séparée" de leur propre corps. Pour eux, la terre est un organisme vivant, dont les montagnes sont la tête, les rivières le sang, le vent le souffle, les arbres le système pileux, les êtres humains les messagers et la rosée les larmes des étoiles.


  • Le temps de voir le monde changer et de comprendre que l'humanité court à sa perte en abimant ce que nous appelons la nature... Comme un grand frère le ferait pour sa fratrie, ils voudraient nous éveiller à leurs connaissances et nous convaincre de réparer ensemble Terre-Mère, eux et nous.


Trois faits pour vous donner envie de les découvrir


FAIT 1 : Un diagnostic exact de mon genou sans scanner ni radio


Le mamo (chaman/guérisseur) du village que nous avons visité, a, en 10 minutes d'examen de mon genou posé le même diagnostic que le rhumatologue après un scanner !




FAIT 2 : Des Kogis venus au chevet du Rhône stupéfient les scientifiques

Des Kogis venus participer à un "diagnostic de santé territoriale" du Rhône se sont rendus à la source du fleuve en Suisse puis à la confluence avec l'Ain. Ils ont formulé des recommandations imagées et poétiques... qui ont inspiré le commentaire suivant à Samuel Monnet, spécialiste du syndicat de la rivière, SR3A :


« En quelques phrases, ils ont réussi à poser un diagnostic sur une réalité avérée alors qu’ils n’ont jamais mis les pieds ici. C’est assez stupéfiant. »



FAIT 3 : Les Kogis ont des connaissances récemment découvertes par les scientifiques


Comme le montre le film Aluna (en particulier vers la fin du documentaire), des scientifiques corroborent des savoirs ancestraux des Kogis, des connaissances que la science moderne vient juste de découvrir.


Par exemple, les Kogis expliquent que chaque espèce animale a un père et une mère associés à un lieu sacré... Ceci peut sembler "puéril" aux yeux de certains, mais le scientifique qui discute avec eux dans le film, est complétement d'accord avec cette connaissance. Il explique que, oui, les biologistes ont découvert qu'au fil de l'histoire du monde, des zones particulières ont été essentielles à l'existence de certaines espèces et qu'il est bien évident que si on détruit une de ces zones, cela impactera la survie de l'espèce concernée. Dit autrement, si on détruit le père et la mère d'une espèce, ils ne pourront plus avoir d'enfant.


Une immersion de quelques heures

En route vers le village Kogi - Carnet de Voyage réalisé par Alain Colin® 2023

Les Kogis ne vivent pas reclus sur leur savoir, ils l’entretiennent, le vivent ; ils voyagent parfois et acceptent également de recevoir quelques visiteurs pour partager leurs connaissances et leur crainte pour l'avenir…



Nous avons eu la chance de passer quelques heures dans un de leurs villages accessible en moto par des chemins plus ou moins carrossables et nous allons essayer de vous retransmettre ce que nous avons appris de cette culture…




Où les Kogis vivent-ils ?

Les Kogis seraient environ 15000. Autrefois, ils vivaient aussi en bord de mer mais ils se sont réfugiés dans les montagnes lors de la colonisation puis lors du conflit armé (entre Farc, ELN, cartels paramilitaires et forces gouvernementales). Ils se déplacent beaucoup pour cultiver à flanc de montagne et pour se retrouver pour les cérémonies religieuses.

Tous les villages et lieux de cultes sont reliés par un réseau de communication fait de sentiers et de chemins pavés. Pour protéger leur territoire et y accomplir leurs rites sacrés, les lieux comme le parc Tayrona ou la Cité Perdue sont fermés aux touristes plusieurs mois dans l'année.


Comment sont leurs maisons ?

Leurs habitations sont construites avec des matériaux naturels, feuilles de palmier, branche, terre. Les Kogis travaillent ensemble pour les construire. A l'intérieur, un foyer central pour cuisiner et sécher le poisson, un hamac, une étagère et des petits bancs de bois.



De quoi se nourrissent-ils ?

Ils pratiquent la permaculture : association de plantes, organisation des rotations de cultures, mise en repos régulière des terres, valorisation des différents niveaux thermiques de la montagne... Ils s'appuient sur leur savoir-faire millénaire et utilisent des graines ancestrales résistantes. Ils ne cultivent que le strict nécessaire pour leur alimentation et stockent a minima. Si une récolte est mauvaise, c'est parce que leur relation à Terre-Mère a été moins bonne et il convient de réparer le lien à la nature en accomplissant rites et offrandes, aucune solution ne peut être trouvée avec des engrais chimiques ou des outils mécaniques,

Les récoltes sont transportées par les Kogis aidés de chevaux. Ils élèvent quelques animaux, en capturent aussi à l'aide de trappes et ils pêchent.


Les feuilles de coca


La coca est à la fois une plante sacrée aidant à entrer en communication avec Terre-Mère et un aliment riche en vitamines et minéraux.


De plus, ses alcaloïdes facilitent le travail en altitude (diminution du mal des montagnes, vertus énergisantes et anti-fatigue).



Les femmes la cultivent, les hommes la sèchent et la consomment. Lorsque deux hommes se rencontrent, quelques feuilles sont prises dans leur mochila (sac typique porté en bandoulière) et échangées en signe de respect mutuel.


Les rôles particuliers du Poporo et du tissage

L’usage du poporo (hommes) et le tissage (femmes) sont vécues comme des pratiques de méditation qui aident à travailler sa pensée et à se connecter à Terre-Mère afin de contribuer à l'harmonie du monde.

Le poporo des Kogis - Carnet de Voyage réalisé par Alain Colin® 2023

Le poporo (calebasse évidée associée à un bâtonnet) est remis au garçon lors des rites de passage à l'âge adulte ; il ne le quittera plus tout au long de sa vie.


Le bâtonnet a deux usages. D'une part, il sert à prélever la poudre de coquillage déposée à l'intérieur du poporo pour la mastiquer avec les feuilles de coca, le mélange facilitant la libération des alcaloïdes de la coca.






Le bâtonnet est aussi frotté, des heures durant, en tournant sur la surface du poporo afin d'aider à la concentration et faciliter l'enregistrement des pensées. C'est un objet hautement symbolique, dont le rôle est assez bien expliqué dans l'émission "Rendez vous en terre inconnue" avec Thomas Pesquet.



Pour les femmes, la réalisation des mochilas joue le même rôle en terme de concentration/méditation. Symbole des liens unissant chaque phénomène, chaque chose, le tissage est source d'introspection et de recherche d'harmonie. Je ne sais pas si vous brodez ou tricotez, moi oui et j'ai remarqué que quand je pratique ce type d'activités manuelles, mon esprit s'évade, se nourrit de pensées qui surgissent spontanément permettant parfois de trouver des idées ou des solutions auxquelles je n'aurais pas pensé.



Comment est organisée leur société ?

Des décisions débattues longuement sous la Nuhé

Afin qu'aucun membre ne se sente lésé, chaque décision est longuement débattue sous la Nuhé, une sorte de maison commune ; plus le sujet est important, plus la discussion est longue et tout le monde est écouté de l'ancien à l'enfant.


Il y a généralement deux Nuhé, une pour les hommes, une pour les femmes. Elles sont bien plus que de simples structures de bois, ce sont des lieux réputés porteurs d’énergie où les forces positives et négatives s'équilibrent afin de percevoir le monde avec clarté et de contribuer à la justesse des décisions.



Une société qui semble très égalitaire

Chez les Kogis, il n'y a pas de hiérarchie, chaque personne est importante, qu'elle fabrique un mochila ou qu'elle cultive, qu'elle soit femme ou homme, qu'elle soit âgée, adulte ou jeune...

Selon Judith Nuvita (une femme Kogi qui, devenue dentiste, est revenue exercer dans sa communauté) : "La base de tout ce qui existe est féminine. Ce sont les femmes qui donnent la vie et qui gardent les connaissances spirituelles. [...] Il y a toujours une recherche d’équilibre et de complémentarité entre hommes et femmes. Tout se fait en équipe. Le tissage par exemple : les femmes conçoivent les vêtements, les hommes les tissent et les femmes se chargent des finitions. C’est pareil pour les cultures, tout est un travail d’équipe. Les enfants participent aussi, ils commencent très jeunes à aider leurs parents pour apprendre et être autonomes une fois adultes : savoir cultiver, tisser les mochilas pour les filles, couper du bois pour les garçons…"


Il n'existe pas d'organisation socio-politique impliquant une autorité centralisée, ni d'organisation supra-communautaire sur un territoire donné.



Le concept de Zhigoneshi

Finalisation d'une construction faite en commun - Carnet de Voyage réalisé par Alain Colin® 2023


C'est l'échange de travail sans rémunération entre frères, beaux-frères mais aussi voisins.


Les jours travaillés seront redonnés plus tard quand l'autre en aura besoin.





Une société patri et matri-linéaire

L'organisation sociale s'articule aussi autour de la cellule familiale constituée de la femme, du mari, des enfants non mariés, des filles mariées et de leurs maris.

Les enfants appartiennent à la lignée paternelle et les filles à la lignée maternelle, le fils reçoit l'héritage de son père et la fille de sa mère. Ainsi, les hommes sont les propriétaires des terres et du bétail, et les femmes sont les propriétaires des maisons.



Mamos et Sagas : guides spirituels, médecins, juges, enseignants

Les Mamos pour les hommes et les Sagas pour les femmes sont des guides spirituels dotés de grandes connaissances en particulier en médecine.

Un mamo Kogi avec son couvre-chef caractéristique - Carnet de Voyage réalisé par Alain Colin® 2023

Ils ont pour mission de protéger Terre-Mère en maintenant l'ordre du monde aux travers de chants, méditations, rites et offrandes.


De plus, ils sont consultés pour les choix importants de la vie (mariage par exemple) ainsi que pour certains actes de la vie quotidienne (choix des cultures, difficultés rencontrées, résolution de conflits...).


Ils sont choisis avant même leur conception et leur formation commence dès le plus jeune âge. Ils passent beaucoup de temps dans l'obscurité pour développer un lien sensible au monde invisible et mieux communiquer avec Terre-Mère.




Le message des Kogis à leurs "Petits frères"

 

Nous ne vous demandons pas seulement de nous aider pour retrouver des terres, non, nous vous demandons surtout de nous aider à protéger ce que vous appelez la nature, les êtres vivants, les animaux, les plantes, les arbres, mais aussi les pierres. Si nous sommes les grands frères, ce n’est pas pour juger les gens ou les choses, savoir si c’est bien ou mal, mais c’est parce que nous faisons le travail ici dans la Sierra, nous protégeons la nature. Nous faisons ce travail et nous voulons vous aider, pour que vous ne vous sentiez pas seuls là-bas…  Ne pensez pas seulement à l’argent, l’argent c’est utile bien sûr, mais pensez aussi à ce qui est important, à la mémoire, à vos anciens, ce qu’ils savaient, ce qu’ils faisaient pour la nature. Retrouvez ces connaissances, pour sauver la nature et nous sauver.  Sans doute ne le savez-vous pas, mais lorsque vous nous rendez de la terre, vous ne nous rendez pas seulement des terres pour que nous puissions cultiver, vous nous rendez aussi des lieux sacrés, les sites de nos ancêtres où l’on peut faire notre travail traditionnel pour protéger les choses.


 

Et si on les écoutait vraiment

Nous pensons vraiment que nous avons à écouter et entendre ce qu'ils ont à nous dire, à essayer de les connaître pour comprendre les enseignements de ces Grands Frères et ainsi participer à la "réparation" de notre monde, qui avouons-le, est plutôt mal barré...


Si vous voulez soutenir ce peuple, nous vous recommandons de consulter le site de l'association Tchendukua qui a été créée par Eric Julien, un géographe qui en 1985, alors qu’il gravissait le massif de la Sierra Nevada a été sauvé d’un œdème pulmonaire par des Kogis. L'association les aide à racheter des terres, à reforester et elle organise des échanges avec les scientifiques...





 

 

 

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