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Colombie #4/2 : Une chronique Amazonienne (2ème partie)


Deuxième partie de notre chronique amazonienne avec les épisodes 6 à 10 :


6. Les botos et leurs légendes

7. San Martin de Amacayacu

8. La fondation Natütama

9. Le tatouage au jus de huito

10. Une dernière leçon de philosophie



 

Épisode 6 : Les botos et leurs légendes

 

Encore une drôle de bête

Le boto, n'est autre que le fameux dauphin rose d'Amazonie et il n'y pas que sa couleur qui soit étonnante. Déjà, c'est le plus grand dauphin d'eau douce répertorié avec une longueur pouvant atteindre 2,8 mètres.


Autre particularité, sa colonne vertébrale est plus souple que celle des dauphins de mer, ses vertèbres non soudées lui permettant de se faufiler entre les branches et les troncs charriés par le fleuve Amazone pour y débusquer les petits crustacés qui lui donnent sa jolie couleur.





Nous vous donnons la version de l'origine de sa couleur qui nous a été donné par Obsi et dans un musée à Puerto Nariño (la fondation Natütama dont vous parlerons un plus loin) mais d'autres sources indiquent que leur teinte serait due à la végétation qu'il mange ou à la présence d'un réseau sanguin dense et superficiel...


Peu importe en fait car le plus surprenant de tout n'est pas sa couleur mais qu'il soit porteur de ce que nous appelons chez nous des légendes ! Laissez-moi vous conter une histoire...


Il était une fois un petit matin à Puerto Nariño....

En ce petit matin du 29 octobre 2023, nous avons rendez vous avec Cielo et Obsi sur la rive du fleuve. C'est l'effervescence dans le village et nous avons du mal à retrouver la belle lancha orange d'Obsi tellement la rive est saturée d'embarcations. Les rues sont animées et bondées, des groupes se forment autour de drapeaux hissés au bout d'une perche. Les mégaphones sont de sortie pour motiver les électeurs à "bien" voter et certains vont même jusqu'à proposer un petit-déjeuner gratis !


Nous finissons par retrouver nos deux compères et nous embarquons après avoir enjambé plusieurs barques. Un autre monsieur embarque avec nous et Obsi nous explique qu'il doit regagner un village péruvien sur l'autre rive de l'Amazone et que comme nous partons à la recherche de dauphins roses et que nous allons être proche de sa destination, nous pourrons le déposer.


Arrivés près de la rive péruvienne, Obsi arrête le moteur et laisse la barque dériver en scrutant les eaux. Lui et notre passager péruvien émettent des sifflements pour attirer les dauphins et le reste de l'équipage se tient muet, les pupilles aux aguets. Enfin, nous apercevons les fameux dauphins et nous constatons qu'ils sont vraiment roses mais aussi craintifs car nous ne les verrons que de loin.


Notre compagnon de safari dauphin prend alors la parole pour nous raconter ce qui est arrivé à ses amis : un soir, plusieurs de ses copains se sont rendus à une fête dans un village...


La statue d'un bufeo dans le village de Puerto Nariño

Ils ont vu un dauphin rose qui sortait de l'eau et se transformait sous leurs yeux en un jeune homme très séduisant et élégamment vêtu grâce aux animaux du fleuve : une raie s'était faite chapeau, un crabe montre, un cucha et un pirarucu chaussures, un anaconda ceinture et une anguille pénis.


Ce jeune homme s'est rendu au bal, il a dansé toutes la nuit et une belle a succombé à son charme. Alors, vers 2 à 3 heures du matin, le couple est redescendu sur la rive pour disparaitre dans les eaux du le fleuve.


Il ajoute que parfois ces jeunes femmes continuent leur vie sous l'eau et qu'elles donnent des enfants au dauphin.



Nous sommes troublés car la façon de raconter cette histoire s'apparente plus au récit d'une tranche de vie qu'à la narration d'une légende. Nous sommes tellement immergés dans ce monde incroyable qu'est l'Amazonie que notre esprit ne parvient plus à cerner ce qui relève du mythe ou de la réalité ! J'ai lu depuis plusieurs versions de l'histoire de ce Buefo, comme l'on nomme le dauphin transformé en jeune homme ; dans tous les cas la jeune femme est enceinte, parfois elle part dans le fleuve, parfois elle reste sur la berge... Les esprits rationnels affirment que c'est simplement une manière d'expliquer les grossesses hors mariages.... Mais qui sait ?


Leçon de philosophie 7 : Les légendes sont souvent une façon d'expliquer, de penser ou d'accepter le monde tel qu'il est , alors est-il toujours nécessaire de vouloir démêler le mythe de la réalité?


 

Épisode 7 : San Martin de Amacayacu

 

Une progression difficile sur le rio Amacayacu

Une fois notre passager déposé sur la rive péruvienne, nous retraversons le fleuve et nous empruntons un petit bras de rivière ; un panneau nous indique que nous entrons dans le Parc National d'Amacayacu, un mot ticuna qui signifie "Rivière des hamacs". Il s'agit d'un parc géré en partenariat avec les communautés indigènes qui y vivent. Dans ce parc immense (293 500 ha) partiellement inondé à la saison des pluies vivent deux des animaux emblématiques de l'Amazonie, le jaguar et l'anaconda.

La progression est difficile dans le Rio Amacayacu

Les eaux sont très basses dans le rio Amacayacu et Obsi observe le courant pour trouver les passages les plus profonds ; cela ne nous empêche pas à plusieurs reprises de devoir descendre de la barque pour l'alléger et la dégager d'un banc de sable ou d'un tronc que nous n'avions pas vu. La progression s'avère difficile et nous mettons pas mal de temps à rejoindre la communauté de San Martin.


Une goulée de rhum et des chansons sous la pluie

A notre arrivée, les enfants jouent dans le rio, les femmes lavent du linge dans les eaux limoneuses du rio Amacayacu puis le rince dans l'eau limpide qui descend de la colline.

Les enfants jouent dans l'eau, les femmes lavent le linge

Nous nous baignons au milieu des rires des enfants et du chant des oiseaux... Le ciel se couvre et nous décidons de monter rapido au village car la pente est raide et la glaise de la côte sera sûrement très glissante sous la pluie.


Nous sommes juste arrivés en haut quand un rideau de pluie s'abat sur le village et la forêt. Tandis que Obsi et Cielo redescendent sécuriser la lancha, nous nous mettons à l'abri sous une sorte de préau couvert de tôle. Plusieurs hommes et deux petites filles s'y sont réfugiés avec nous.

Il pleut des cordes, la température fraichit, la petite goulée de rhum va faire du bien

L'ambiance est détendue, nous discutons en espagnol avec les messieurs et quand un homme nous tend la petite bouteille de rhum qui tourne entre eux, nous acceptons avec plaisir d'en avaler une bonne goulée pour nous réchauffer.


Les petites filles nous demandent de chanter et nous entonnons un frère Jacques en canon, elles prennent le relais avec une chanson en espagnol.




J'aime cette simplicité des choses, nous sommes là ensemble et le courant passe malgré toutes les différences, différence de couleur, différence de culture, différence de mode et lieu de vie... Trop souvent, on se focalise sur les différences plutôt que sur les choses que nous avons en commun : nous sommes des êtres humains doués de sentiments, de capacité d'adaptation, d'envie de partage et sous ce préau, nous ne sommes in fine qu'un groupe d'humains qui a un peu froid dans ses vêtements légers et qui se réchauffe le corps et le cœur avec un verre partagé, des chansons et surtout des sourires. Bien sûr, le fait que nous puissions échanger dans une langue commune facilite le partage mais j'ai le sentiment que les choses n'auraient pas été vraiment différentes si nous n'avions pas compris les mots prononcés.



Des pâtes aux sardines et une partie de Uno dans la forêt amazoniene

Compte tenu de la météo très incertaine et de toute la pluie qui est tombée, Obsi nous explique qu'il va être compliqué de dormir dans un hamac en forêt comme cela était initialement prévu. Bien sûr, nous sommes un peu déçus mais nous lui faisons totalement confiance. Nous traversons le village qui est quand même assez important avec une église, des maisons en bois et quelques unes en dur, une école, un terrain de sport. Quelques jeunes militaires sont exceptionnellement présents à San Martin pour la soirée électorale. Nous comprenons que la grande soirée de clôture de l’élection se prépare avec un dîner partagé entre les habitants.



Nous arrivons chez la famille qui va nous héberger mais après nous avoir servi un chocolat chaud délicieux, tout le monde s'éclipse : c'est l'heure du dépouillement. Nous voilà donc tous les 4, Cielo, Obsi, Dominique et moi, seuls dans la maison. Par les fenêtres (je devrais plutôt dire les ouvertures car il y a pas de fenêtres à proprement parler), nous voyons la nature qui nous entoure. La jungle exhale une brume qui s’élève doucement vers le ciel, les feuilles humides sont brillantes. Regardez, Christine et Dominique, ici il y a un toucan, là des perruches et plus loin un perroquet ! Mais, la nuit ferme bientôt son rideau sur ce tableau qu'aurait pu peindre le Douanier Rousseau. Obsi part dénicher de quoi diner et revient avec des pâtes et une boite de sardines, tandis que Cielo exhume un jeu de Uno de son sac à dos ! Ici, il y a quelques panneaux solaires qui permettent d'avoir de l’électricité et du réseau quelques heures par jour, donc à un moment, les ampoules faiblissent et il faut sortir les lampes frontales pour continuer la soirée.

Une partie de Uno à la frontale dans une communauté ticuna

Donc je vous dresse le tableau !


Nous partageons un plat de pâtes aux sardines en jouant au Uno à la lumière de nos frontales dans une maison déserte au milieu de la forêt amazonienne pendant que nos hôtes assistent au dépouillement électoral !


C'est quand même assez surréaliste !





Leçon de philosophie 7 : Pour profiter pleinement d'un moment, il faut prendre les choses comme elles viennent, sans a priori.

Toilette avec l'argile du rio

Le lendemain matin, le grand soleil est de retour et nous en profitons pour découvrir le village et acheter des cadeaux pour notre famille : un mobile en écaille de pirarucù pour notre petit fils à naître, une sorte de hochet en bois de palma de chontaduro et graines de chambira pour Antoine, une sarbacane pour Jeremy, une sorte de flute rituelle ornée de plumes pour Fabien et des bracelets et colliers en fibre végétale de palma de chambira ornés de graines d'achira et de ojo de dios pour le reste de la famille. Tout est réalisé par les habitants à partir de matériaux issus de la forêt.


Mais il est bientôt de temps de partir et nous redescendons vers le rio.

C'est l'heure de la toilette avec l'argile du ruisselet qui descend de la colline

C'est l'heure de la toilette et nous rejoignons les villageois qui se lavent dans le ruisselet qui descend de la colline. Nous prélevons comme eux une petite plaque d'argile bleue dans le lit du ruisselet et nous nous savonnons avec avant d'aller nous rincer dans le rio Amacayacu.



Abuela t'accueille Christine, elle te remercie de tes efforts

Bientôt il se posera sur mon épaule et ma main... Abuela me remercie

Nous sommes entourés de centaines de papillons orange et l'un deux vient se poser sur mon épaule puis sur ma main... seulement sur moi...


Obsi me regarde avec tendresse "Tu vois Christine, la jungle amazonienne te remercie de tous les efforts que tu as fait pour venir ici, elle t'accueille, tu es la bienvenue... "


Je suis très émue, non en fait, je ne suis pas émue, je suis bouleversée.


 

Épisode 8 : La fondation Natütama

 

Une fois retournés à Puerto Nariño, nous partons visiter le petit musée de la fondation Natütama (le monde sous l'eau) dont les objectifs sont la transmission des connaissances traditionnelles des peuples Ticuna, Cocama et Yagua mais aussi l’éducation environnementale et la sauvegarde des écosystèmes liés au fleuve Amazone.

Les animaux du monde sous l'eau

La première salle est dédié à la forêt humide et la guide nous explique le monde aquatique au travers de sculptures de bois en taille réelle des animaux du fleuve.



Une statue de la terrifiante tortue Matamata

Il y a bien sûr les deux stars que sont l'anaconda et le dauphin rose, mais aussi plusieurs espèces de tortue dont la terrible Matamata.


Il s'agit d'une tortue préhistorique à l'allure un peu effrayante qui ne lâche plus ton bras une fois qu'elle l'a mordu, elle sert si fort qu'elle peut rompre les os... Et même si elle meurt ; la seule solution est de couper le bras !



Un autre bâtiment contient une pièce noire où l'on entre pieds-nus. La guide raconte l'histoire d'un pêcheur en dirigeant le faisceau de sa lampe torche vers l’élément dont elle parle (animal, objet...). C'est très simple mais très immersif et surtout très intéressant.


Le rôle de l'anaconda connu depuis la nuit des temps

Lors de notre visite, la guide nous présente aussi des objets traditionnels pour nous parler des légendes et savoirs ancestraux. Il y a entre autres la sculpture d'un anaconda qui porte tout un tas d'animaux sur son dos.


Je repense immédiatement à la réponse d'Obsi quand nous lui avons demandé pourquoi il était nécessaire de construire un mur de soutènement sur la berge de Puerto Nariño... Il nous avait répondu qu'il y avait 3 causes : la 1ère était que l'île de sable qui était auparavant en face du village s'était déplacée lors de la dernière crue, la 2ème qu'avec le développement du village de plus en plus de lanchas à moteur venaient accoster et que cela fragilisait la berge et la 3ème que l'anaconda qui protégeait la rive était parti. Il nous avait ensuite expliqué que l'anaconda jouait un rôle très important et que les lacs où il résidait était toujours beaucoup plus poissonneux...


Donc je fais le lien et je demande des explications à la guide de la fondation Matütama. Elle nous apprend que certains lacs se vident en saison de basses-eaux et que toute la vie animale migre vers le fleuve ou vers des zones qui ne s'assèchent pas. Quand les eaux remontent, les lacs où l'anaconda revient retrouvent une vie aquatique plus abondante car l'anaconda transporte des tas de larves et œufs sur sa peau. Encore une fois, le mythe et la réalité se rejoignent.


Leçon de philosophie 8 par Abuela Leobina Ahue : Quand le monde était encore sacré, avant notre époque, tout ce que l’on pensait pouvait devenir réalité.

 

Épisode 9 : Le tatouage au jus de huito

 

Despacito, suave, suavecito

Le séjour est vraiment trop court et nous voilà déjà à notre dernière soirée. Nous sommes tous un peu tristes car le courant est vraiment bien passé entre nous 4.

Obsi continue a prendre soin de moi et comme je suis fatiguée et que je boite beaucoup, il me dit très souvent "Despacito, Christine, despacito, tenomos el tiempo" (Doucement, Christine, doucement, nous avons le temps)... et voilà Cielo et Obsi partis à chanter la célèbre chanson "Despacito"...


Nous ne connaissons pas les paroles mais participons de bon cœur et c'est une franche partie de rigolade... Cette chanson, nous la rechanterons plus tard avec Cielo, pendant la traversée qu'elle fera avec nous depuis Carthagène des Indes à Saint Martin dans le nord des Caraïbes.


Un tatouage éphémère

Obsi a fait les beaux-arts à Bogota, il est un puits de science sur l’Amazonie, un guide attentionné et de surcroît artiste peintre, alors quand il nous propose de réaliser un tatouage éphémère (qui tient environ 3 semaines) sur notre bras en utilisant, comme le font les ticunas depuis la nuit des temps, le jus du huito, c'est avec un grand oui que nous acceptons en lui laissant le choix du motif.



Il est clair qu'ils nous a bien observés et écoutés car si nous avons tous les deux l'emblématique dauphin, il a bien repéré que j'adorais les fleurs et il n'a pas manqué le papillon qui m'a tant bouleversée... Il a aussi entendu Dominique s'extasier devant les couchers de soleil sur le fleuve et la multitude d'oiseaux.. Quand à Cielo, elle a vécu plusieurs mois dans une communauté sur le bord du fleuve alors il réalise une peinture traditionnelle sur son visage.


 

Épisode 10 : Une dernière leçon de philosophie

 

C'est l'heure de reprendre la navette pour retourner à Leticia et prendre un avion pour Bogota. Cielo nous regarde partir les larmes aux yeux avec de grands signes d'adieux... Arrivés à Leticia (je vous rassure, la remontée depuis l'embarcadère s'est très bien passée), nous partageons un dernier petit-déjeuner avec Obsi. Nous parlons de notre famille qui nous manque beaucoup et nous lui racontons qu'à notre départ, Krystal, notre petite-fille, m'a dit "Ne pleure-pas, Mamou, je suis triste aussi mais je suis aussi tellement fière. Vous me montrez que si on le souhaite vraiment, on peut vivre ses rêves" et Obsi de répondre "Oui, Christine, les enfants savent des choses"...


Leçon de philosophie n°9 : Les enfants savent des choses

Quand nous nous quittons à l'aéroport, Obsimar me prend les mains et me dit "je sais Christine que tu aurais aimé dormir dans la jungle, je sais aussi que tu es une personne courageuse alors si tu reviens, nous partirons plusieurs jours dans la jungle, je t’emmènerai le plus loin possible avec ma barque, nous ne marcherons pas beaucoup, je porterai ton sac et je t'aiderai pour le hamac". Je vous le confie, avec Dominique, nous pensons sérieusement à y retourner avec nos petits enfants Krystal et Lyam...


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